INSTABILITÉ CLIMATIQUE : UNE VIOLENCE POUR LES AGRICULTRICES.

 


     Les changements climatiques ont un impact direct sur l'agriculture avec la modification du calendrier agricole. Au Cameroun comme dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, les femmes agricultrices vivent difficilement ces variations du climat. Elles constituent une véritable violence à leur endroit.

        Nous sommes dans un ptit village pas loin de la ville d'Edea dans le Littoral camerounais.  Une dizaine de femmes rurales, sortant fraîchement des plantations se sont retrouvées autour de Cécile Ndjebet pour une réunion d'information sur la réalité des changements climatiques et leur conséquences sur l'agriculture.  Cécile Ndjebet, lauréate du célèbre prix Wangari Maathai, est la Présidente du Réseau des femmes africaines pour la gestion communautaire des forêts (REFACOF). Un réseau qui se trouvent dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne.

    Chaque femme y va de son témoignage sur les modifications survenues ces dernières années dans les plantations.  Madeleine parle de ses deux enfants qu'elle n'a pas pu inscrire au lycée cette année scolaire à cause d'une mauvaise récolte de manioc en juillet-août 2023. Vendeuse de Mintoumba, une variété de bâtons de manioc, elle s'est retrouvée avec une baisse drastique de la production de tubercules de manioc sans en connaître la cause.
  Jeanne et Frieda quand à elles parlent de la pourriture des tubercules de manioc sur près d'un hectare de champ, une grande première depuis qu'elles sont cultivatrices. Elles sont complètement anéanties et ne savent pas comment elles pourront se relever financièrement. Téclaire dont la récolte n'a presque rien donné cette année, accuse la plante envahissante appelée localement  kondengui qui étouffe les tiges de manioc, tandis que Josephine qui se trouve dans la même situation, indexe l'augmentation du nombre de sorciers dans le village.
       


         Cécile Ndjebet va donc leur parler des changements climatiques et leurs conséquences qu'elles vivent déjà ainsi et qui affectent leur quotidien.  Elle parle du REFACOF dont le but est de donner aux femmes africaines les moyens d'influencer la REDD +. Pour ces femmes, il s'agit là d'un drame climatique qu'elles vivent et qui constitue une cause directe de violence dans leur vie. N'ayant plus d'autonomie financière grâce à leur commerce florissant de tubercules de manioc et ses dérivés comme il ya quelques années, ces femmes sont désormais à la merci de prédateurs sexuels.   Teclaire nous a parlé par exemple du boutiquier du village qui lui fait des avances pressantes depuis des semaines. Elle n'y donne encore aucune suite mais elle a des enfants à nourrir et à envoyer à l'école.... 
       Une étude à été faite en 2019 par la le PNUD associé à la Sexual Violence Research Initiative et le Center for Domestic Violence Prevention (CEDOVIP). Elle a montré que certaines familles avaient recours au mariage de leurs filles pour mieux faire face à la pénurie alimentaire, car le fardeau de nourrir l'enfant était ensuite transféré à la famille du nouveau mari et la famille de la fille recevait la richesse de la mariée. Ça c'est dans le meilleur des cas car à défaut de mariage,  les jeunes filles sont livrées à la prostitution pour aider leur mère à joindre désormais les deux bouts.    Cette étude a montré aussi que le changement climatique a également présenté des défis aux masculinités hégémoniques des hommes dans les communautés. La mauvaise récolte, la baisse des revenus et l'insécurité alimentaire ont exercé une pression sur le rôle des hommes en tant que pourvoyeurs et les hommes se sont donc souvent tournés vers l'alcool pour faire face à ce stress et ont augmenté leur recours à la violence, en particulier dans les disputes ou les désaccords avec leurs épouses.
     Pour Cécile Ndjebet,  agronome, forestière, spécialiste du genre et conseillère en leadership féminin, il s'agit là d'une bataille qu'elle a fait sienne, lutter contre les violences basées sur le genre en relation avec les changements climatiques.



         Une bataille semblable à celle du Docteur Djibril Diallo, Président du Réseau de la Renaissance Africaine et de la Diaspora (ARDN),  qui a lancé depuis le 12 decembre 2023 la campagne «Carton rouge contre les Violences Basées sur le Genre» .  Présent dans plus de 80 pays, l’ARDN est un réseau basé à New York aux Etats Unis d’Amérique. L'un de ses objectifs est l’atteinte des objectifs de développement durable, notamment le deux premiers ODD qui parlent de la "faim zéro " et  "la réduction de la pauvreté". Le13 ème ODD sur les mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques et le 10 ème ODD sur les inégalités réduites. 
         Le projet sur les violences basées sur le genre (VBG) de l'ARDN qui travaille en collaboration avec ONU Femmes, s'est appesanti sur le sort de ces millions de femmes agricultrices qui subissent les contrecoups du climat en Afrique. Dr Djibril Diallo et son équipe accompagne en effet les Nations Unies dans l'atteinte de ces ODD concernés. Il affirme qu'ils 《utilisent la  campagne carton rouge comme point d'entrée vers l'accélération de l'atteinte des objectifs de développement durable. Les femmes dans l'agriculture sont très affectées par des violences comme discrimination,  les questions d'héritage, l'accès au foncier》.  Des questions traitées au sein de l'ARDN pour apporter des changements significatifs.  Dr Djibril Diallo à ainsi été invité spécialement à Libreville au Gabon lors du One Forest Summit en mars 2023. Son intervention à été axée sur《l'impact de la discrimination et les violences sur les femmes dans les secteurs forêt et environnement et donc l'agriculture》. Principal intervenant lors d'un webinaire organisé le 17 janvier 2024 par les journalistes du Réseau des Médias Africains Pour la Promotion de la Santé et l’Environnement REMAPSEN, il a longuement parlé de la contribution et des perspectives de l'ARDN dans la lutte contre les changements climatiques en  rapport avec les femmes.
   Les efforts dans la réduction du réchauffement climatique ont clairement un impact direct sur la réduction des VBG. La lutte pour l'un et l'autre devrait donc s'accélérer afin que, comme ces millions de femmes africaines agricultrices,  les femmes d'Edéa au Cameroun encadrées par Cécile Ndjebet du REFACOF, puissent retrouver leur indépendance financière et matérielle grâce au retour de la productivité agricole.

                            Solène Angelha Batongue

      

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

FORÊT ET FAUNE: LE CAMEROUN ET LE NIGERIA EN PHASE

LE SOUTIEN DE LA RCA A LA COMIFAC

FRANCOPHONIE : LOUISE MUSHIKIWABO AUX CÔTÉS DES FEMMES